L’or : pilier de performance dans un monde incertain ?
Actif universel, valeur refuge par excellence et protection reconnue contre l’inflation, l’or fascine autant qu’il rassure. Alors que le métal jaune atteint des sommets historiques, il est naturel de s’interroger : quels sont les moteurs de cette hausse ? Est-il encore temps d’en profiter ? Ou au contraire faut-il réduire ses positions ? Tentons ensemble d’y voir plus clair.
I. Le parcours de l’Or
Après une période de plus de 10 ans de stagnation autour de 400 dollars l’once durant les années 1990, l’or a entamé une tendance haussière au début des années 2000, propulsé par l’incertitude économique. Il atteint un sommet autour de 2 000 $ en 2011, dans le sillage des crises financières de 2008 (faillite de Lehman Brothers) et de 2011 (crise Grecque). Puis l’or s’est à nouveau « endormi » pendant plus de 10 ans autour de 1 250 $ l’once, pour se réveiller fin 2023 et doubler en deux ans, au point de dépasser les 4 000 $ l’once en octobre 2025. (cf. figure 1 ci-après)
II. Sur quel équilibre le prix de l’or est-il fondé ?
Loin d’être une simple « relique barbare », l’or est un actif dont le prix est naturellement dicté par l’équilibre en l’offre et la demande. Cependant, ses moteurs d’offre et de demande sont spécifiques, et en font un instrument souvent décorrélé des actions et des obligations :
1/ L’offre d’or est relativement contrainte et stable, partagée entre :
- La production minière (P) qui constitue l’essentiel de l’offre et qui est relativement prévisible, dans la mesure où les sociétés minières mettent plusieurs années à transformer la découverte d’un gisement en site productif ;
- Le recyclage (R) qui s’est développé parallèlement à la hausse de l’or, mais dont les volumes restent relativement marginaux.
2/ La demande en or est en revanche multiple et dynamique. Elle se divise en trois grands segments :
- La demande industrielle (I) : Elle inclut en particulier la joaillerie, l’industrie électronique et le secteur dentaire. Bien que significative, cette demande est relativement stable et moins volatile que les autres composantes. La demande s’ajuste également en fonction des cours de l’or : lorsque l’or est trop haut, il peut être plus intéressant pour les industriels d’utiliser des matériaux alternatifs, et la demande industrielle d’or peut alors baisser.
- La demande d’investissement (E) : C’est l’un des moteurs les plus réactifs des cours. Elle prend la forme d’achats physiques (lingots, pièces) ou, de plus en plus, d’achats « papier » via des ETF (Exchange-Traded Funds). Ces fonds, qui répliquent la performance de l’or, permettent aux investisseurs d’acheter et de vendre de l’or aussi facilement qu’une action, influençant fortement les prix à court et moyen terme.
- Les Banques Centrales (B) : Elles détiennent de l’or comme actif de réserve stratégique au sein de leurs bilans. Leurs décisions d’achat ou de vente sont significatives en volume mais répondent à des logiques de long terme.
III. Pourquoi l’or a-t-il tant monté récemment ?
Le graphique ci-dessus (figure 2) illustre l’équilibre (ou le déséquilibre) du marché de l’or par trimestre depuis 5 ans. Les barres au-dessus de zéro représentent l’offre ; les barres en dessous de zéro représentent la demande. La performance récente de l’or a été soutenue par différents facteurs : on observe, à partir de 2022, une hausse significative de la demande de la part des Banques Centrales, ainsi qu’une croissance de la demande d’or « investissement » – tandis que l’offre est restée stable.
En effet, les Banques Centrales ont relancé leurs achats d’or dans les trimestres qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine. Début 2022, les pays occidentaux ont gelé des centaines de milliards de dollars et d’euros appartenant à la Banque Centrale de Russie. Pour de nombreux pays (en particulier les économies émergentes et « non alignées » sur l’Occident), cela a été l’occasion de réaliser que leurs réserves financières, si elles étaient majoritairement en dollars ou en euros, pouvaient être « gelées » du jour au lendemain en cas de conflit géopolitique, au bon vouloir de l’émetteur de ces devises.
Dans ce contexte l’or physique présente un avantage précieux : s’il est stocké physiquement dans les coffres de la Banque Centrale (sur son propre territoire), aucune autre nation ne peut le geler ou en empêcher l’accès. C’est aussi un actif neutre, sans risque de contrepartie, qui est presque universellement accepté. Pour les Banques Centrales des pays non alignés, l’or est donc l’actif privilégié de diversification face à la « militarisation » du dollar ou de l’euro (leur utilisation comme outil de sanction). On observe ainsi que les gros acheteurs d’or récents sont des pays comme la Chine, la Pologne, la Turquie, l’Inde ou Singapour, qui cherchent tous à renforcer leur souveraineté monétaire.
Cette hausse de la demande des Banques Centrales a amorcé une hausse des cours de l’or, qui a elle-même ravivé l’intérêt des investisseurs pour le métal jaune, créant une nouvelle poussée de la demande. L’or présente en effet deux qualités essentielles pour un investisseur :
- Son évolution est relativement décorrélée de celle des actions et des obligations : l’or est donc un actif diversifiant, qui réduit la volatilité (le risque) d’un portefeuille ;
- Il protège contre l’inflation.
Dans le contexte de conflit en Europe et de forte inflation (crise de l’énergie de 2022/2023), il est raisonnable pour un investisseur de s’intéresser à l’or – si, en plus, la dynamique des cours est haussière, l’or devient un support d’investissement recherché.
IV. Est-il encore temps d’investir en or?
Après la hausse, on peut se demander s’il est encore temps d’acheter de l’or, ou si, à l’inverse, il devient pertinent d’en vendre.
De notre point de vue, l’or est un excellent actif de diversification, nous recommandons d’en détenir, pour une petite proportion de son patrimoine, comme « prime d’assurance » contre des crises. Il ne s’agit cependant pas d’un actif productif, nous déconseillons donc d’en détenir de grandes quantités. La hausse récente peut donc être l’occasion d’une prise de bénéfices partielle pour revenir à un pourcentage de détention plus normatif. Même si de notre point de vue le mouvement haussier peut tout à fait durer, surtout si l’instabilité géopolitique perdure. L’expérience du passé montre que les mouvements haussiers de l’or sont généralement suivis d’une consolidation, afin que l’offre et la demande atteignent un nouvel équilibre.
Pour des investisseurs qui ne seraient pas encore positionnés sur l’or, une alternative intéressante peut être d’investir en actions de mines d’or. Ces dernières sont en effet des actifs productifs, et leur cycle est généralement légèrement décalé par rapport au cycle de l’or. Elles offrent de plus un effet de levier, qui leur confère un potentiel de gain supérieur en période de hausse, mais présentent également un risque de perte plus important si le cours du métal jaune venait à chuter.